Guerre civile :
créer et raconter par le cinéma
Par SOPHIE BOUTBOU
La guerre civile a accouché d'un cinéma de combat et
de propagande dans les deux camps. Plongée dans les tourments d'une époque au
travers de films indispensables pour comprendre l'histoire de l'Espagne.
1 El genio alegre, film de Fernando Delgado incarne à merveille la fracture que vit le pays
durant ses années de guerre civile (1936-1939). Les acteurs principaux, Rosita
Diaz Gimeno et Fernando Fernández de Córdoba partent le 18 juillet 1936 - à la
veille de la guerre - tourner en extérieur à Cordoue, ville qui tombera aux
mains des franquistes le lendemain. L'actrice est républicaine, maîtresse du
fils du président socialiste Juan Negrín. L'acteur est franquiste - si engagé
qu'à la fin de la guerre, il lira le dernier communiqué annoncant la victoire
de Franco.
L Le 18 juillet, il
dénonce sa partenaire comme républicaine. Arrêtée, condamnée à mort, elle sera
finalement échangée avec une autre prisonnière et pourra rejoindre la France
puis les Etats-Unis. Le régime franquiste va la faire disparaître des affiches
de promotion de El genio Alegre dès 1939, mais pas du long métrage, le
régime n'ayant pas l'argent nécessaire pour organiser un nouveau tournage.
3. UN CINEMA DE COMBAT ET
DE PROPAGANDE POLITIQUE.- Depuis février, à Barcelone, se tient l'exposition Images confrontées: la guerre civil et le cinéma.
"Le cinéma est un bel instrument pour comprendre la complexité de la
guerre", affirme Esteve Riambau, directeur de la filmothèque de
Catalogne et commissaire de l'événement. "Du côté des fascistes, la
Phalange et Franco se sont vite mis d'accord, mais il y a eu des confrontations
internes du côté des républicains, entre anarchistes et communistes."
4. Avant la guerre
civile, le cinéma en Espagne était avant tout du divertissement, venant des
Etats-Unis. "Sous Franco, nous sommes face à un cinéma de combat et de
propagande politique" retrace José María Caparrós, fondateur du centre
d'investigation film-histoire de l'Université de Barcelone, auteur de nombreux
livres sur le cinéma et l'histoire.
5 Pour José María Caparrós,
le film emblématique de l'époque est Reportaje del movimento
revolucionario. Tourné entre le 19 et 23 juillet 1936 à Barcelone par les
anarchistes, il est considéré comme leur premier film de propagande. Ce sont
des images de rues prises en direct par le journaliste Mateo Santos, avec des
commentaires très engagés.·
6 Les anarchistes ont
pris le contrôle de l'industrie du cinéma à Barcelone, jusqu'à fin 1937. "À
ce moment on est en pleine confrontation armée: d'un côté le camp des républicains
communistes, de l'autre les Anarchistes," explique José Maria Caparros.
Jusqu'à sa chute, fin janvier 1939, elle restera un des principaux bastion
anti-franquiste. Parallèlement, le gouvernement républicain catalan produit des
oeuvres au travers d'une section de cinéma du commissariat de propagande: Laya Films, du nom de l'antique Barcelone romain. Plus de 100 films verront ainsi le jour.
7 C’EST LA CRÉATION QUI
RESTERA DANS LE TEMPS.- Le film "le plus objectif" sur la
guerre civile, pour l'historien du cinéma qu'est José María Caparrós, est La
vieja memoria, de Jaime Camino, sorti en 1977. 23h de films tournées, 2h
sélectionnées par Camino. "Elles ont été analysées par la filmothèque
et 15 heures ont été retenues. Elles sont disponibles à la cinémathèque de
Barcelone", explique le directeur Esteve Riaubau. Il s'agit
d'entretiens des principaux témoins de la guerre civile, encore vivant en 1976,
comme Dolores Ibárruri Pasionaria, député communiste des Asturies, ou Fernando Garci
Teresa, membre de la Phalange. En 1977, le réalisateur Jaime Camino déclara
dans une note d'intention: "Nous n'avons pas besoin de recherche
scientifiques ou de cours. Ce qu'il restera avec le temps c'est : a) la
synthèse d'information directe et personnelle. b) La création."
8 "Beaucoup de ces films sont éphémères" rappelle Esteve
Riaubau. Il prend l'exemple d'Espoir/Sierra de Terruel d'André Malraux
(1937), tourné dans l'espoir d'attirer l'attention internationale vers
l'Espagne. "Le but originel du film n'a plus de sens quand il passe en
1945 en France, et encore moins quand il arrive sur les écrans d'Espagne en
1976. Pourtant, il s'agit d'un témoignage crucial".
9 AUTO-CENSURÉ.- Les
films s'arrêtent souvent à la frontière de l'Espagne. Mourir à Madrid,
film français tourné en 1962 est interdit dans l'Espagne de Franco "qui
veut oublier les mémoires de la guerre", comme le raconte Esteve
Riaubau. Deux films ont été produits en réplique, "ce qui est absurde
puisque le public espagnol ne pouvait pas voir l'original": Morir
en España, et Porque morir en Madrid? Ce dernier contient une
propagande pro-franco tellement évidente qu'il a été auto-censuré par les
franquistes eux-mêmes.
Enrique del Campo, un
cinéaste mexicain né de parents espagnols, a lui aussi été victime de censure.
Deux jours avant la sortie en salles d'El Crucero Baleares, le ministre
espagnol de la marine franquiste, a interdit le film, et toutes les copies ont
été détruites. Esteve Riambau a, pour la filmothèque, créé un photo-montage
avec des images d'archives pour donner une idée du long-métrage que
pratiquement personne n'a eu la chance de voir.
1 Contrairement à
Mussolini ou à Hitler, Franco a fait l'objet de très peu de caricatures ou de
sujets cinématographiques. Raza, est un des seuls long-métrages qui
parle d'éléments de la vie du Caudillo. Mais pas pour l'attaquer. Le scénario
original, publié sous un pseudonyme, est de Franco. Le réalisateur José Luis
Sáenz de Heredia, est le cousin de José Antonio, le créateur de la phalange
espagnole. Le discours qui y est véhiculé en 1941 est anti-américain.
Mais en 1950, le film ressort, modifié, car les rapports entre l'Espagne et
les Etats-Unis ont changé une fois l'Allemagne vaincue. Raza devient donc en un
film anticommuniste sous le nouveau nom Espíritu de una Raza. "Ils
ont même tournés des dialogues qui ne vont pas avec le mouvement des lèvres"
s'amuse Esteve Riambau. "Ils voulaient detruire la version de 1941 pour
protéger leurs intérêts."
1 LAND AND FREEDOM.- Les
franquistes ayant très peu de studios à disposition en Espagne, ils se tournent
donc vers l'Allemagne nazie. "Ils étaient envoyés en délégation pour
tourner des films folkloriques en espagnol sous contrôle de Franco",
raconte le directeur de la filmothèque. En 1998, Fernando Trueba s'inspire de
cette période dans La niña de tus ojos. Penelope Cruz est l'actrice
principale de cette parodie des aventures d'une troupe espagnole dans Berlin.
1 Parmi les productions
étrangères, le film qui s'approche le plus de ce que fut la guerre espagnole
est, selon José María Caparrós, Land and Freedom de Ken Loach (1995).
"Le réalisateur est parvenu à saisir ce moment décisif où le camp
républicain perd la guerre. Quand la vision des communistes - prendre le
pouvoir- et celle des anarchistes - faire la révolution - entrent en conflit."
(Publicado en Barcelona Kultur Lab, http://storify.com/BKL/le-cinema-un-bel-instrument-pour-comprendre-la-gue, 28-V-2012)